Vanaheim - La Présentation

« Grand-mère, raconte-moi encore comment c'était, quand le Roi Liche régnait sur Norfendre ! »

La voix haut perché d'Abumir tira l'aïeule de ses pensées. Dodelinant de la tête sous ses cheveux blancs, elle s'était égarée dans ses souvenirs – mais ses yeux restaient étonnamment vifs dans son visage ridé par les années écoulées. Le sourire aux lèvres, elle tendit les bras, encore musclés malgré son grand âge, et attira le petit garçon sur ses genoux.

« Tu connais cette histoire par cœur. Tu es sûr de vouloir l'entendre, encore ? »

Le hochement de tête frénétique de l'enfant lui arracha un éclat de rire. La jeunesse avait décidément un intérêt forcené pour les exploits des générations passées, et l'énergique petit phénomène qui sautillait sur le bras de son fauteuil ne faisait pas exception à la règle.

« D'accord, si tu y tiens vraiment. Mais avant, va donc chercher tes cousins : je sais qu'ils aiment ces histoires, tout autant que moi. »

Un martèlement désordonné de talons et de sabots dans le grand escalier de bois lui apprit que la légion d'enfants habitant le Manoir Vanaheim n'attendait que cette invitation pour s'engouffrer dans la salle et s'entasser sur le tapis épais devant la cheminée. S'appuyant au dossier confortable de son fauteuil, la vénérable paladine prit le temps d'étudier leurs visages. Dans leurs traits juvéniles, elle pouvait reconnaître ceux de leurs grands-parents, ses propres compagnons d'aventure – tous ceux qui avaient partagé les jours et les mois de sa jeunesse, et avec lesquels elle avait accompli tant d'exploits. Hurlevent avait bien changé depuis lors, et la modeste maison que la guilde avait achetée avec le fruit d'années de labeur avait pris des allures de ville en réduction alors que les héros se mariaient, élevaient leurs enfants, qui se marièrent à leur tour et engendrèrent ensuite une conséquente progéniture. Beaucoup d'humains vivaient maintenant dans le manoir – une bonne quantité de draeneï également, deux familles complètes d'elfes de la nuit, et même une poignée de gnomes et de nains. Trois générations de Vanaheim, et tant de vie dans les couloirs et les jardins !

Frémissants d'impatience, les enfants attendaient, cependant, avec une patience née de l'habitude. Ils savaient que l'aïeule avait une foule d'histoires à raconter, et lui laissaient le temps de choisir celle qu'elle allait partager.

« Voudriez-vous entendre comment Vanaheim est née ? »

Le murmure général d'approbation tira un sourire nostalgique à la grand-mère, alors que ses yeux dérivaient sur la couronne dorée posée sur le manteau de la cheminée.

« Au début... au tout début, alors que le Roi Liche régnait d'une main de fer sur le Norfendre... Et que je n'étais qu'une jeune paladine bien maladroite et bien gauche, on m'accosta dans les rues de Hurlevent. C'était un homme que je ne connaissais pas, mais dont la bonne humeur et l'enthousiasme me plurent immédiatement. Il s'appelait Shills, et il s'était associé avec un homme d'une grande sagesse et dont l'expérience était renommée, Tau, pour fonder cette guilde dont nous portons encore aujourd'hui fièrement les couleurs. Beaucoup d'aventures nous lièrent tous les uns aux autres, jusqu'au jour où notre chaleureuse demeure du quartier Warea fut détruite. Nous dûmes déménager plus loin, dans le quartier lointain d'Elevenn que nous ne connaissions pas, et beaucoup ne nous suivirent pas. Là-bas, après beaucoup de difficultés et d'épreuves délicates, Shills et Tau prirent leur retraite, et c'est à moi qu'il incomba de m'occuper de tous ces gens qui comptaient sur moi. Heureusement, je n'étais pas seule : Decableater était là, Nyneria aussi, de même que Gounia et Ashee. »

Devant les pieds de la paladine, ses propres petits-enfants lui souriaient de toutes leurs dents – plus loin, ceux de Deca chahutaient avec ceux de Nyneria. Une colonie de petits brocolis se redressèrent à l'évocation d'Ashee, leur grand-père dont la renommée les rendait si fiers, et une jeune apprentie prêtresse qui descendait de Gounia et se montrait aussi prometteuse que sa grand-mère s'installa près d'eux. Tant de souvenirs, tant de choses à raconter – la mémoire de Svanhilde était aussi fidèle qu'aux tous premiers jours et elle n'était jamais à court de détails à partager.

« Nous avons traversé des moments épiques, vous savez, chers enfants. Aucun défi ne nous faisait trembler. Nous avons occis bien des monstres animés par le Mal le plus profond, combattu bien des champions de la Horde pour défendre l'Alliance, exploré de bien lointaines contrées. Nous nous sommes engagés dans les armées de la Lumière pour défier le Roi Liche sur son trône de glace... »

Les enfants jouaient le jeu, et étouffèrent quelques exclamations angoissées.

« Nous avons défait Kel'Thuzad et les armées du Fléau à Naxxramas. Nous avons occis Onyxia et Saphiron, les seigneurs draconiques – nous avons abattu Malygos, leur maître. Nous avons porté triomphalement les couleurs de l'Alliance au Colisée de la Croisade d'Argent. Certains d'entre nous étaient réticents à découvrir les secrets d'Ulduar, et nous avions tenté pendant longtemps de venir à bout de la Citadelle de la Couronne de Glace, mais des efforts répétés nous menèrent au sommet. »

« Grand-mère, vous aviez fait cela tous seuls ? »

« La plupart du temps, oui. Mais parfois, quand une grande armée était requise, nous avions pour habitude de nous allier avec nos amis de la guilde Eclypse. »

La paladine indiqua d'un geste du menton l'imposant Manoir Eclypse que l'on devinait par la fenêtre. Deux des enfants parmi la marée juvénile étalée devant elle étaient d'ailleurs des petits Eclypse – les liens tissés entre les deux guildes avaient perduré au fil des années et plusieurs mariages étaient venir solidifier l'amitié entre ces deux familles pourtant quelque peu différentes.

« A cette époque, nos liens étaient fragiles, nous venions à peine de nous rencontrer – mais j'avais confiance, et la matriarche des Eclypse faisait elle aussi tout son possible pour que notre armée unifiée triomphe des difficultés. Ils étaient plus aguerris que nous, les Eclypse – mais nous avions une légèreté d'esprit et une fantaisie qu'ils appréciaient. Nous faisions souvent des cache-cache dans la grande cité de Dalaran entre deux raids – nous aimions explorer, venir au secours des opprimés, voire simplement nous promener ici et là, pêcher et nous déguiser. Nous aimions aussi les expéditions négligées par les autres guildes : nous avons purifié Karazhan, remporté la bataille au sommet du mont Hyjal... »

Derrière leurs enfants, certains de leurs parents étaient venus s'asseoir pour écouter également – et même certains de leurs propres parents, les compagnons d'aventure de la paladine qui racontait, encore et toujours, ces héros des temps jadis dont la gloire faisait l'orgueil des petits.

« Grand-mère, raconte-nous, comment le Roi Liche est tombé sous vos coups ! »

La vieille femme sourit, avant de secouer la tête.

« Il se fait bien tard mes petits, et le dîner n'attendra pas. Cette histoire-là sera pour un autre soir... »

La salle se vida lentement alors que les Vanaheim rejoignaient la table garnie qui embaumait à l'étage du dessous. Sur le manteau de la cheminée, dans les ombres du crépuscule, ne restaient plus que la couronne de la paladine, et Valius, son arme favorite, vestiges d'un temps passé, qui scintillaient doucement dans la lueur mourante des flammes.

A chaque héros son histoire...